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UB- Préhistoire Le site de Préhistoire de l'Université de Bourgogne Cours en ligne Licence 3 - Chronoécologie et évolution culturelle 15000-5000 BC |
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Chronoécologie Néolithisations Cours 4 : Les théories de la néolithisation
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Nous allons poursuivre aujourd'hui sur la néolithisation, mais non en nous intéressant à sa diffusion et à son implantation en Europe, mais en remontant à sa source pour faire le tour des théories proposées anciennement et actuellement concernant ses causes et son processus. Comme vous le savez maintenant par cœur, la néolithisation est un phénomène qui s'est produit en divers points du monde, sensiblement au même moment à l'échelle de l'histoire humaine (c'est-à-dire à quelques millénaires près). Dans tous ces foyers on s'est interrogé sur le pourquoi de cette transformation de l'économie et du mode de vie. Mais c'est surtout pour le Proche Orient, le foyer le plus ancien et le mieux connu que les théories ont été les plus nombreuses et le débat le plus vif. Le processus de la domestication des plantes et des animaux dans le Levant, et le Proche Orient en général, a été le centre de la recherche archéologique et anthropologique pendant longtemps, ayant pour résultat une énorme quantité de publications. Les objectifs principaux des recherches en ce qui concerne la domestication sont d'identifier où, quand, comment et pourquoi la domestication s'est produite. D'une manière générale, les théories au sujet de la domestication tendent à approcher le phénomène de perspectives plutôt spécifiques. Ces principales perspectives sont : - L'environnement, - Le domaine social - Et le domaine cognitif. Les approches environnementales sont les plus nombreuses. Elles envisagent le climat et les relations écologiques et économiques entre les humains, les plantes et les animaux. Les théories sociales et anthropologiques critiquent le déterminisme environnemental qui caractérise les anciennes approches, et insistent sur les aspects sociaux tels que la structure sociale et les échanges. Dans des approches cognitives, c'est particulièrement l'esprit humain ou les dimensions symboliques, cognitives et psycho-culturelles de la domestication qui suscitent l'attention. Chacun de ces groupes de théories se concentre sur des aspects importants mais très précis de la domestication, et chaque groupe de théories a en réalité livré des réflexions et des enseignements importants et sans doute juste. En fait, toutes ces théories se rejoignent par leur dimension déterministe qu'il s'agisse d'un déterminisme environnemental ou d'un déterminisme culturel. Deux mots tout d'abord pour vous rappeler le contexte archéologique du développement de ces théories. La région considérée est principalement le Levant (La zone méditerranéenne du Proche Orient : L'Israël, La Palestine, La Péninsule du Sinaï (en Egypte), le Liban, La Jordanie et la Syrie, mais aussi l'Anatolie du sud-est. Le cadre chronologique est de mieux en mieux maîtrisé par les datations radiocarbone et la calibration et le paléoenvironnement et l'évolution climatique sont fondés dans le Levant par le croisement de nombreuses études (Palynologie, géomorphologie, études des restes animaux…). Il en ressort que la transition du pléistocène à l'holocène est une période de fluctuation climatique marquée. Ces changements sont en grande partie le résultat de variations dans l'orbite de la terre et du soleil : l'effet de Mila nkovitch. En particulier, la fonte de calotte glaciaire continentale à la fin du pléistocène a eu de grandes conséquences comme la montée globale du niveau des mers. Plusieurs chercheurs comme Joy McCorriston et Franck Hole, en 1991, ont proposé de voir une augmentation marquée du caractère saisonnier des précipitations au début de l'holocène entre 9500 et 8000 BC cal. Ceci aurait eu pour conséquence en climat méditerranéen des étés chauds et secs et des hivers froids et pluvieux. Rappelez vous aussi que la zone géographique concernée présente des topographies contrastées : Bandes côtières, collines et montagnes, vallées profondes et zones de plateaux qui fusionnent avec les grands déserts… Je ne reviens pas en détail sur les plantes et les animaux qui sont domestiqués pendant la néolithisation au Proche Orient : - Blés, seigle et orge pour les céréales mais aussi des légumineuses pour ce qui concerne la domestication végétale. - Et les quatre ongulés sauvages présents sur les versants méridionaux du Taurus : le mouflon qui donnera le mouton domestique, la chèvre egagre ou aegagre qui donnera la chèvre domestique, le sanglier qui donnera le cochon ou porc domestique et l'aurochs qui donnera le bœuf domestique pour la domestication animale. Quelques faits importants concernant cette domestication doivent aussi être retenus : - les plantes et les animaux qui vont être domestiqués étaient déjà importants dans la subsistance humaine avant leur domestication, et la technologie pour la moisson, le traitement des récoltes, etc. avaient été déjà développés ; - Le sédentarisation ou du moins une semi-sédentarisation a précédé la domestication des plantes et des animaux ; - la culture et la domestication des plantes ont commencé dans l'habitat naturel des céréales sauvages ; - l'agriculture et l'élevage sont apparus dans les secteurs avec un large spectre de ressources abondantes ; - des plantes ont été domestiquées la première fois près des fleuves, des lacs, des marais ; Venons en maintenant aux diverses approches et théories qui ont tenté d'expliquer le passage à l'économie de production. Evidemment, cette présentation ne sera pas exhaustive, car ce sujet a été très largement exploité par de très nombreux chercheurs et les publications qui en ont résulté sont innombrables. Elles peuvent cependant se résumer à quelques grandes tendances, que nous allons voir par grands types d'approches en vous présentant leurs principaux auteurs. Commençons par les approches environnementales (nature) Les théories climatiques et environnementales sont probablement les plus nombreuses et les plus largement popularisées par un très grand nombre de chercheurs. Elles sont assez systématiquement fondées sur des reconstitutions paléoenvironnementales et envisagent les changements climatiques qui conduisent à des changements environnementaux. Les chercheurs qui ont défendu ces thèses sont très nombreux au cours de l'histoire de la recherche néolithique. Nous retiendrons ici les racines communes de ces travaux qui plongent dans le XIXe et le début du XXe siècle depuis Darwin (1882), Pumpelly (1908), Vavilov (1926), Childe (1928, 1936), Braidwood (1960), Binford (1968), Flannery (1969), et Cohen (1977). Au sein des approches environnementales on va distinguer plusieurs théories distinctes : Les approches biologiques Les approches biologiques sont importantes car l'essentiel des théories de la néolithisation sont issues de l'étude des restes de plantes et d'animaux, dont on a déterminé le caractère domestique. Un des pionniers de cette démarche a été Nicolaï Vavilov, biologiste et généticien soviétique. Le principal travail de Vavilov a été d'observer la distribution de la diversité génétique des plantes cultivées partout dans le monde. Selon Vavilov, les centres de la diversité génétique auraient marqué les foyers des premières domestications. Cette théorie était sans doute simpliste et a ensuite été contestée mais elle a posé les bases des recherches postérieures. Vavilov lui-même, en recherchant ces foyers originels ne conteste pas que les débuts de l'agriculture soient le fait de circonstances environnementales mais aussi de faits historiques et culturels. Tout au long du siècle cette approche sera poursuivie en utilisant des méthodes de plus en plus sophistiquées de biologie, palynologie, microscopie, recherche ADN et bénéficiera du développement des méthodes de datations, mais elle se borne le plus souvent à préciser où, quand et comment les domestications sont apparues mais n'abordent pas le pourquoi de ces domestications. D'autres approches environnementales se sont cependant attachées à la question des causes des domestications. Le model de l'oasis (ou de proximité) « The Oasis Model » (« Propinquity Model ») Parmi les modèles les plus anciens : l'Oasis Model ou Propinquity Model a été généralement attribuée à Vere Gordon Childe alors qu'elle est initialement proposée par un géologue et anthropologue américain, Raphael Pumpelly en 1908. Cette théorie a cependant été effectivement popularisée par Gordon Childe au travers de plusieurs publications dans les années 1920-1930. L'idée est fondée sur les reconstitutions paléoenvironnementales qu'on pouvait faire à l'époque et qui supposaient une période particulièrement sèche succédant à la dernière glaciation au Proche Orient. Cette sécheresse aurait obligé les populations humaines comme animales a se réfugier autour des sources d'eau restantes : les fleuves comme le Nil, l'Euphrate et le Tigre ainsi que les oasis (d'où le nom de la théorie). Dans ces zones privilégiées les céréales étaient disponibles poussant des les dépôts alluviaux de limons riches et les hommes auraient développé les champs en utilisant des moyens d'irrigation simples. Ces premiers fermiers n'étaient pas nécessairement sédentaires, et ils pouvaient fréquenter périodiquement les oasis afin d'y moissonner le grain. Le chaume du champ moissonné aurait attiré les animaux qui ont été protégés, recueillis et apprivoisés, ayant pour résultat la domestication. Les animaux ont fertilisé les champs moissonnés avec leur fumier, et avec leur viande et leurs produits secondaires, ils étaient également une assurance en période de la pénurie de nourriture. En résumé, ce sont les conditions environnementales particulières qui auraient amené de profondes modifications dans les relations symbiotiques entre les hommes, les plantes et les animaux. Pour Gordon Childe, l'apparition de cette économie de production était une véritable révolution aussi bien en fonction de son importance intrinsèque que de sa rapidité et il popularisera largement l'expression de Révolution néolithique. (Pour lui l'invention la plus importante dans l'histoire de l'humanité depuis la maîtrise du feu). Nous savons aujourd'hui qu'il n'y a pas eu en réalité de sécheresse à la fin de la dernière période glaciaire et que donc le fondement de cette théorie est caduque. Néanmoins, plusieurs aspects de la théorie de Gordon Childe sont encore fréquemment utilisés et 3 ou 4 d'entre eux fondent encore la plupart des théories modernes : • Le Néolithique est encore envisagé par la plupart des chercheurs comme une révolution. • Le changement climatique et les contraintes engendrées sont à la base des théories postérieures. • Il est maintenant évident que ce sont les plantes qui ont été domestiquées les premières. • Enfin le système de rétroaction entre les plantes et les animaux (avec l'aspect de la fumure des terres par le fumier animal en même temps que les animaux se rapprochent de ces sources de nourriture et que les animaux vont aussi constituer eux-mêmes des réserves de nourriture sur pattes) est encore utilisé. En fait, cet Oasis model a même été remis au goût du jour par Andrew Sherratt récemment (1996) concernant la transition du Pélistocène final à l'Holocène ancien, pour le Levant, considérant la situation particulière en goulôt d'étranglement de cette région coincée entre la côte à l'ouest et la zone de fluctuation des marges désertiques à l'est qui aurait conditionné la migration des céréales sauvages des collines aux endroits bien arrosés dans les terres basses où elles ont été par la suite cultivées. Le modèle de marginalité de Binford « The Maginality Model »A la fin des années 60, Lewis Binford (1968) a proposé un modèle combinant les aspects démographiques, les aspects environnementaux et la question des zones optimales pour expliquer la transition vers le Néolithique. Selon ce modèle, le début de l'Holocène est marqué par un fort accroissement démographique et de fortes densités de population au Proche Orient. Dans les zones optimales, c'est-à-dire les secteurs géographiques présentant des ressources naturelles abondantes, les groupes semi-sédentaires natoufiens se seraient développés démographiquement de manière significative. La remontée du niveau des mers a parallèlement réduit sensiblement la surface des terres exploitables et la population s'est donc élevée au dessus de la capacité de charge de cette région, au-delà des ressources disponibles. Cela aurait induit une migration de ces populations en dehors de ces zones optimales vers des territoires moins favorables (zones marginales) généralement habitées par des chasseurs-cueilleurs plus mobiles (nomades). Afin de satisfaire la demande croissante de nourriture, les populations auraient alors déplacé des céréales sauvages en dehors de leur milieu naturel avec pour conséquences, une sélection et donc la domestication. En résumé : • Implantation dans des zones optimales, • Croissance de population, • Stress environnemental, • Déplacement dans les zones marginales, • Et la culture et finalement la domestication du grain. Les modèles du Dryas récent « Younger Dryas Models » Les modèles appelés « Dryas récent » sont fondés sur les mêmes principes que les modèles de marginalité de Binford que l'on a vu et de Flannery que j'évoquerai après. C'est-à-dire qu'ils envisagent les relations entre sédentarisation, croissance et expansion démographique, stress environnemental et stress des ressources alimentaires… ce dernier conduisant à la culture et à la domestication. Le Dryas récent, grosso modo entre 11000 et 9500 est une période froide et sèche qui a succédé à une première amélioration climatique globale à la fin de la dernière période glaciaire Il s'agit du dernier évènement climatique du Pléistocène et il correspond en chronologie au Natoufien récent et final. Dans le période suivante, à l'Holocène ancien qui correspond au développement du PPNA, le climat a commencé à s'améliorer durablement. Selon, donc, un certain nombre de modèles, c'est dans le Dryas récent qu'il faut chercher les origines de la domestication. Ces hypothèses ont été proposées par une série de chercheurs dont Ofer Bar-Yosef, Donald O. Henry, Gordon C. Hillman, David R. Harris, Andrew M.T. Moore… depuis la fin des années 80. Le modèle de Bar-Yosef (1989-1995) Le modèle de Bar-Yosef (et de ses divers collaborateurs au fil du temps) se compose de deux phases. Dans la première phase (pendant le Natoufien ancien) l'amélioration climatique a eu comme conséquence les grandes communautés "complexes" semi-sédentaires dans la zone méditerranéenne du Levant (le secteur du noyau ou "patrie" du Natoufien). Dans la deuxième phase (Natoufien récent et final), les conditions climatiques détériorées du Dryas récent ont été contrecarrées par deux réactions culturelles distinctes. D'abord, les populations du Natoufien récent dans le Negev et le nord Sinai ont augmenté leur mobilité, ce qui a eu pour résultat l'apparition d'une nouvelle culture adaptée à ces régions : le Harifien. En second lieu, dans la zone méditerranéenne les rendements décroissants des céréales sauvages, qui constituaient la base du mode de vie sédentaire et qui avaient eu pour conséquence un accroissement démographique ont été compensés en cultivant les sols fertiles près des sources d'eau. (ce qui rejoint « l'Oasis Model »). Ce modèle est basé sur cinq variables principales : - Des changements environnementaux rapides, tels que le Dryas récent sont considérés comme des facteurs déclanchant –des causes directes- pour les changements culturels ; - Les Natoufiens ont utilisé de façon intensive des ressources prévisibles et abondantes, telles que les céréales sauvages ; - La mobilité réduite (semi-sédentarité) a été encouragé par l'abondance et la prévisibilité des céréales sauvages et le comportement territorial du des troupeaux chassés (gazelles) ; - La pression démographique ; - Des innovations technologiques (faucilles), et une complexité sociale croissante avec des activités économiques intensifiées permises pour la culture. En résumé et selon Bar-Yosef : « L'impact du Dryas récent est certifié par l'abandon des implantations du Natoufien ancien et l'établissement de nouveaux habitats du Natoufien récent, souvent dans de nouvelles zones géographiques hors de leur territoire de développement initial. Nous postulons que le Dryas récent froid et sec a fait diminuer les rendements des céréales sauvages et, en fonction des restrictions territoriales existantes, a augmenté la motivation pour une mise en culture intentionnelle. » (Bar-Yosef-Yosef et Meadow, 1995, p. 70). Plus tard, dans le PPNA, le climat s'est amélioré, et les communautés sédentaires se sont établies dans le couloir Levantin du moyen Euphrate par la vallée de la Jordanie et jusqu'en Jordanie méridionale, où ils ont employé les sols alluviaux près de l'eau ("oasis"). Dans le PPNB, le mode de vie agricole s'est affirmé et on y a ajouté la domestication des animaux qui conduit à la croissance démographique et à la diffusion des populations. Le modèle de Henry (1989-2002) Une importante publication de Donald O. Henry, en 1989, a présenté une théorie détaillée expliquant la transition des chasseurs-collecteurs aux agriculteurs-éleveurs. Henry considère lui aussi l'épisode du Dryas récent comme un événement important de déclenchement, mais sa théorie diffère de la précédente car il rejette ce qu'il appelle les "hypothèses de poussée (contrainte)," qui veulent que les chasseur-cueilleurs ont été contraints à la culture en raison de la pénurie. Au lieu de cela, il favorise une "hypothèse de traction (opportunité)," qui indique que cela dans les Chasseurs-Collecteurs (Foragers en anglais) du Levant dans la zone méditerranéenne ont été tirés –attirés- dans des zones présentant de nouvelles ressources avantageuses. Cette confiance aurait mené à la vulnérabilité aux situations de stress. Henry distingue deux transitions dans le processus menant à l'agriculture. La première transition, est liée à l'amélioration climatique permettant de le développement de sociétés de chasseurs-collecteurs complexes et conduisant à l'expansion des régions boisées méditerranéennes, il y a environ 13000 ans. Dans ces régions, l'abondance des ressources faciles à collecter et stocker comme les céréales sauvages a mené à la sédentarisation. À son tour, cette sédentarité a mené à la croissance de population, ce qui est validé selon Henry par l'augmentation du nombre et de la taille des implantations natoufiennes. La deuxième transition, des chasseurs-collecteurs complexes à la production de nourriture, a été déclenchée par l'événement du Dryas récent –la péjoration climatique- causant une diminution des ressources desquelles dépendaient les Natoufiens. Henry, cependant, précise que l'épisode du Dryas récent n'est pas le facteur causal ; la cause en serait plutôt l'instabilité inhérente du système Natoufien. C'est-à-dire que la perte de mobilité, la sédentarisation entraine une vulnérabiblité au stress démographique et alimentaire. Henry évoque même une « Population explosion » (explosion de population) (Henry, 1989) : « Une fois confronté avec une élévation dramatique de leurs nombres et un déclin marqué dans les ressources, les Natoufiens ont répondu avec des tentatives pour contrôler la croissance de la population, pour intensifier la production, et pour acquérir de nouvelles terres / ressource, et pour fixer leur territoire existant ». (Henry, 1989, p. 52). En conséquence, dans la zone méditerranéenne, ils pourraient seulement survivre par l'horticulture (la culture des jardins, potagers autant que floraux). Comme dans le modèle précédent, les Natoufiens récents des secteurs marginaux sont redevenus de simple chasseurs-collecteurs (maintenant renommé Harifiens). Le modèle de Harris (1989-2002) David Harris a traité de cette question à travers une série de contributions s'échellonnant de 1989 à 2002 et s'intéressant aux relations de domestications entre les hommes, les plantes et les animaux. Harris traite spécifiquement ce qu'il appelle "la transformation agro-pastorale" ; c'est-à-dire, l'intégration de la production végétale et animale. Son modèle est évolutionniste et place lui aussi L'épisode du Dryas récent comme facteur déclanchant avec la baisse de la dépendance aux espèces sauvages (animales et végétales) et l'accroissement de la dépendance aux espèces domestiques mais aussi l'augmentation de l'énergie dépensée à l'exploitation des terres et des animaux. Bien que les modèles du Dryas récent fournissent des explications attrayantes, la recherche récente a indiqué quelques problèmes importants dans la corrélation entre la péjoration du climat et la diminution des céréales sauvages (menant à la culture et à la domestication). Les analyses palynologiques concernant les débuts de l'agriculture ont montré qu'il n'y avait pas de diminution des céréales sauvages pensant le Dryas récent. Il y a même une augmentation remarquable des nombres absolus de pollens de céréales pendant le Dryas III et l'Holocène dans certains diagrammes polliniques En second lieu, les modèles du Dryas récent semblent avoir été fondés sur une chronologie courte entre la manipulation suggérée des plantes sauvages pendant le Natoufien et la domestication des céréales dans le PPNA. De plus, en fonction de la nouvelle chronologie de la domestication des plantes telle qu'elle fait aujourd'hui l'objet d'un consensus ne semble pas pouvoir valider le modèle du Dryas récent. Il semble aujourd'hui y avoir un écart temporel important entre cette péjoration climatique et les stress environnementaux consécutifs et les datations des plus anciens vestiges fiables de la domestication végétale autour de 8500 cal BC, soit environ 700 années radiocarbones. Une telle durée est nettement supérieure à ce qui était prévu dans ces modèles pour l'apparition de la domestication. Mark Nesbitt s'interroge sur ce fait : « Pourquoi les plantes domestiquées sont elles finalement apparues, si la culture à long terme des plantes sauvages avait été pratiquée pendant si longtemps sans évidence de domestication ? » (Nesbitt, 2002, p. 124) Toujours à l'encontre de ces modèles, Joy McCorriston et Franck Hole (1991) ont précisé, parlant plus généralement des fluctuations climatiques et environnementales, que celles-ci se sont produites un certain nombre de fois dans le passé, sans induire l'agriculture. Cependant, cette critique ne tient pas compte du fait que la pression de population est un élément important des modèles du Dryas récent. Mais cela amène aussi justement à un quatrième problème posé par ces modèles, mais aussi beaucoup d'autres plus généralement. En effet cette idée d'une pression démographique importante que l'on retrouve dans plusieurs modèles pose elle aussi des problèmes : • la représentativité des données archéologiques, • la chronologie, • le mode de calcul de la population… Ces problèmes sont particulièrement important concernant la période des sociétés de chasseurs-collecteurs complexes du Natoufien qui ont pu avoir des systèmes de semi-sédentarité mais aussi des périodes de sédentarité alternant avec des périodes de retour au nomadisme. Le modèle est donc discuté par beaucoup de chercheurs comme François valla mais aussi Douglas Price et Anne Gebauer (1995) pour qui la taille des populations humaines est certainement un facteur de transition à l'agriculture mais la pression démographique ne serait pas la cause de ce changement mais une condition pour le rendre possible. A partir d'analyse archéozoologiques récentes sur le Natoufien récent et final, Natalie Munro (2004) propose une autre version du modèle du Dryas récent. Pour elle l'agriculture ne serait pas une réponse immédiate à la péjoration climatique du Dryas III. Elle envisage au contraire que les Natoufiens auraient répondu à cette pression écologique en contrôlant leur expansion démographique et/ou la densité du peuplement du territoire, par une plus grande mobilité. Plus tard seulement, lorsque l'exploitation des ressources sauvages a été poussée à ses limites, une gestion plus intensive des céréales auraient conduit à l'agriculture. Le « modèle de saisonnalité » (« The Seasonality Model ») Un autre modèle environnemental important est le modèle de saisonnalité de Joy McCorriston et Franck Hole (1991). Pour ces chercheurs, la domestication est le résultat d'un accident historique. Elle interviendrait dès le PPNA, dans la vallée jordanienne autour des lacs de Lisan et beisan et serait le fait d'une sélection inconsciente (unconscious selection). L'origine de l'agriculture serait fondée là encore sur l'amélioration climatique du début de l'Holocène associée à un caractère saisonnier marqué c'est-à-dire un contraste important entre des été chauds et secs et des hivers froids et humides. Parallèlement la couverture végétale de la région avait été amenée à changer, les plantes pérennes diminuant au profit des plantes annuelles comme les céréales. « Avec l'augmentation de l'aridité d'été et du rétrécissement des lacs, les gens ont fait face aux manques saisonniers critiques de ressources. En répondant à ces manques par le stockage et la sédentarité, les gens ont augmenté la pression sur les environnements locaux et ont commencé à les épuiser. Plutôt que le mouvement, peut-être parce que d'autres populations sédentaires avaient épuisé de même des endroits voisins, les populations ont intensifié leurs efforts de « moissonner » les cerfs communs, la gazelle, et les graines annuelles. Le plus grand caractère saisonnier, l'assèchement des lacs des bassins intérieurs, les avantages de la sédentarité, et l'épuisement local des ressources essentielles sont les raisons pour lesquelles les gens ont convergé autour des rivages du lac Beisan à la fin de la période du Natoufien et ont domestiqué des céréales et des légumineuses. » (McCorriston et Hole, 1991, p. 59) Ce modèle a été adopté ou adapté par une série de chercheurs dans les années 90 et il a semblé assez séduisant. Cependant comme je l'ai mentionné tout à l'heure, il se heurte au problème des datations du développement de l'agriculture ici attribuées au PPNA et largement remises en cause depuis. Là encore c'est la proximité chronologique entre l'évènement climatique et le développement de l'agriculture qui est supposée et qui ne semble pas validée par les autres études. Le « modèle de Coévolution » (Coevolution Model) Dans les années 80, David Rindos (1984) s'est intéressé aux relationd e coévolution involontaires entre les plantes et les animaux et entre les plantes et les hommes pendant le processus de domestication. Il a distingué trois phases dans ce processus : 1- La domestication fortuite, se rapportant à la dispersion et à la protection des plantes sauvages, au cours du temps ayant pour résultat des changements de certains d'entre eux ; 2- La domestication spécialisée, indiquant des relations intensives entre les humains et les plantes dans des environnements artificiels ; 3- La domestication agricole, dénotant les résultats du processus d'évolution et ayant pour résultat les plantes domestiquées. Dans ce modèle, la domestication est marquée par : • une mutation génétique (avec des plantes pré-adaptées spécifiques -avec les rachis durs) • une sélection involontaire de la part des hommes (symbiose plantes-humains). Ainsi, l'agriculture serait une étape tardive dans la longue évolution de la symbiose humains-plantes. Avec les plantes domestiques, la capacité de charge (le rendement) des régions a pu augmenter, ayant pour résultat la croissance de population et l'expansion des sociétés agricoles qui a suivi. Pour Rindos, « a positive feedback system » s'est développé, dans lequel les plantes domestiques et l'agriculture ont déclenché la croissance de population, qui à son tour a déclenché l'agriculture, et ainsi de suite. Le modèle de Rindos (1984) est ainsi considéré comme un modèle évolutionniste néo-Darwinien, dans lequel il nie l'existence d'une réelle intentionnalité humaine. A cause de cette seule dernière assertion, le modèle a été décrié par la suite par certains chercheurs. Il est cependant probable que les observations de Rindos sur la coévolution des plantes et des humains soient correctes si on écarte pas l'hypothèses d'une part de choix humain plus importants et dans un système sans doute complexe. Eitan Tchernov, un autre chercheur, à la fin des années 90 favorise également l'évolution involontaire lente de la domestication des plantes et des animaux, mais il inclut dans le modèle des facteurs culturels : « L'apparition des animaux domestiqués (et des plantes) est essentiellement une conséquence d'un processus évolutionniste, qui est apparu par hasard. La manipulation intentionnelle des animaux (si déjà domestiqué ou sauvage) a émergé seulement plus tard, après une période de maturation socioculturelle » (Tchernov, 1998, p. 34). Le modèle de Prédétermination (Path-Dependent Model) Marion Benz, jeune chercheuse de l'Université de Freiburg en Allemagne, a développé son propre modèle dans les années 2000, sans doute inspirée par le modèle de coévolution et celui de saisonnalité. Elle l'appelle modèle ethnologique mais le lien important qu'elle fait avec les causes environnementales permet de le classer dans les approches environnementales. Le modèle de prédétermination se rapporte à l'idée que les décisions des personnes sont affectées par de premières décisions antérieures : elles sont orientées sur un chemin prédéterminé. En d'autres termes, le comportement humain n'est pas nécessairement intentionnel et raisonnable, et les conséquences à long terme des actions peuvent rarement être évaluées. Ses théories sont fondées sur l'observation ethnologique de 43 groupes de chasseurs-collecteurs récents ou actuels où elle note les comportements, les choix et les mécaniques engendrées par différents types d'évènements. En se fondant sur ces observations elle critique les théories précédentes : • le processus de domestication n'a sans doute pas commencé dans le Dryas récent où les différences saisonnières sont minimales. • Mais la culture est peu probable aussi dans un contexte d'abondance des ressources. • La hiérarchie sociale n'est pas un préalable nécessaire pour la culture. Selon son modèle, les changements environnementaux et la pression démographique a conduit à un rétrécissement des territoires d'exploitation des ressources qui ont rendus les groupes dépendant une première fois des ressources locales abondantes. Dans un contexte de ressources locales abondantes cela a conduit à une diminution du nomadisme, conduisant potentiellement à des conflits sociaux. Si les ressources diminuent, la compétition doit être prévue. Les conflits et la compétition ont pour conséquence une réduction du principe de réciprocité, principe fondamental dans le jeu social à l'intérieur d'un groupe en ethnologie. Bref, il faut alors trouver des moyens de gérer le manque de ressources : par les échanges ou le stockage. Le stockage amène à se fixer en un lieu : la sédentarité qui a son tour favorise le stockage… Entre les villages sédentaires, les relations sociales et les liens de parentés se développent généralement. C'est dans ce contexte et pour parer à l'éventualité d'une baisse des ressources que se développerait la culture des plantes. En parallèle, on assisterait à un attachement des groupes à leurs villages sédentaires et en même temps avec le développement de la propriété à un développement des différenciations sociales. Le « modèle Proto-Cultivateur » (Proto-Farming Model) A la fin des années 90, Colin Tudge (1998) a envisagé les origines de l'agriculture avec une perspective évolutionniste sur le temps longs. Sa théorie totalement hypothétique fait remonter les Proto-cultivateurs à plus de 40000 ans, chez les néandertaliens et envisage que dès cette époque les hommes avaient un impact sur leur environnement végétal en protégeant ou propageant certaines plantes et en raison de l'emploi du feu. Dans son modèle, ces sociétés pourraient donc être qualifiées de proto-agriculteurs et la transition vers l'agriculture serait intervenues après le dernier épisode glaciaire au moment de la remontée du niveau de la mer et du rétrécissement de certains territoires côtiers qui a nécessité d'intensifier la culture qui a mené à la domestication. « Tout dramatiques qu'ils semblent, les changements de la révolution néolithique n'étaient pas vraiment révolutionnaires, mais simplement une consolidation des tendances établies » (Tudge, 1998, p. 3) Si la théorie ne repose sur rien puisque nous n'avons presque aucun vestige de l'exploitation du monde végétal au Paléolithique moyen et supérieur, elle a le mérite d'envisager l'histoire de la domestication sur le temps long en remettant en cause le côté révolutionnaire de la néolithisation elle-même, ce qui n'est pas inintéressant dans l'idée. Les Modèles sociaux et anthropologiques (culture) Le modèle des piémonts ( The Hilly Flanks Model) Tandis que Childe localisait les débuts de l'agriculture dans les oasis et les fleuves du Levant et de la vallée du Nil, Robert Braidwood (1960) a plaidé pour des origines dans les collines inférieures et les vallées s'étendant au pied des monts du Zagros et du Taurus. Ce modèle a été développé à l'occasion de la fouille du site de Jarmo en Irak à la fin des années 40 et sera popularisé en 1960. Sur la base des théories de Gordon Childe et entouré d'une équipe pluridisciplinaire, il fonde un modèle basé sur la présence dans certaines régions, avant le début de la néolithisation des espèces sauvages qui seront domestiquées : le modèle des piémonts ou de l'habitat naturel ou des zones nucléaires. Si l'idée du lieu primaire de la domestication est intéressante et permet de compléter la théorie de Gordon Childe, ses recherches montrent qu'il n'y a aucune évidence d'une période de sécheresse importante au début de l'Holocène. Pour expliquer la transition agricole, il se tourne donc vers des hypothèses sociales et culturelles. L'idée est que la transition est survenues lorsque la culture était prête, c'est-à-dire lorsque les populations de l'épipaléolithique ont développé des capacités technologiques suffisantes et une connaissance de l'environnement leur permettant d'exploiter les lieux les plus propices. Dans ces lieux propices, plantes et animaux ont été exploités de façon plus étroite et leurs relations ont évolué avec la moisson des céréales sauvages et un contrôle des animaux et des plantes. Robert Braidwood parle d'une phase d'agriculture naissante « incipient agriculture ». Actuellement, cette théorie intéressante de rechercher l'habitat naturel des ancêtres sauvages des espèces domestiquées est discutée car un certain nombre de chercheurs s'accordent à voir le développement de l'agriculture dans le Levant et non dans les piémonts. Mais en réalité cette idée est sans doute tout à fait juste pour la domestication animale. Quant à savoir ce que c'est qu'une culture qui est prête… ? Le « modèle de marginalité de Flannery » (Marginality Model of Flannery) A la fin des années 60 et au début des années 70, Kent Flannery qui travaille sur l'Iran occidental adapte le modèle de maginalité de Binford mais en rejetant l'idée que le climat est le facteur principal de la domestication. Pour lui, l'agriculture a commencé en réponse aux changements démographiques et économiques. Dans le Zagros, les populations ont commencé à croître il y a environ 20.000 ans et c'est cet accroissement démographique qui aurait amené à la sédentarité et à la domestication parce que la pression démographique aurait contraint une partie de la population à se déplacer vers les zones marginales, moins riches et à développer l'agriculture. Rien de bien neuf sous le soleil donc en réalité… et cela n'explique pas grand-chose. Cependant Flannery a la spécificité de s'intéresser particulièrement en même temps aux aspects biologiques de la domestication en insistant sur : - le déplacement des espèces sauvages en dehors de leur habitat naturel, - l'élimination des mécanismes normaux de sélection naturelle, - le choix involontaire par l'homme de phénotype qui ne pouvait pas survivre naturellement. Ces trois processus –involontaires- combinés à des systèmes simples d'irrigation auraient mené à un processus irréversible d'intensification des relations entre humains et plantes avec pour conséquence la domestication. Le « modèle de pression démographique » (the population pressure Model) Le modèle de pression démographique est l'œuvre de Mark Cohen (1977) mais se base en grande partie sur des travaux antérieurs comme celui d'Ester Boserup (1965). L'idée est que la pression démographique, envisagée comme une variable indépendante, est la raison principale de la production de nourriture. La notion derrière ça est que les populations humaines ont une tendance inhérente à se développer et qu'elles ne maîtrisent que très imparfaitement ce développement. Dans ce schéma, la croissance et l'expansion continues de la population à la fin du Pléistocène et au début de l'Holocène auraient conduit à un « monde plein » dès le début de l'Holocène. Monde dans lequel il n'était plus possible de migrer. Le stress provoqué sur la quantité de ressources disponibles aurait amené ces populations à consommer des nourritures « moins préférées » puis à un très large éventail d'animaux et de plantes… et finalement à l'agriculture, sans expliquer comment précisément. Dans cette théorie la croissance démographique n'est pas un résultat des progrès culturels ou économiques ou technologiques mais il en serait la cause. Cette idée est généralement aujourd'hui rejetée. Par ailleurs, cette idée d'une économie à large spectre n'est pas retenue non plus car elle n'est pas validée par les données archéologiques sur les sites natoufiens du Levant. Cet accroissement démographique « spontané » dès la fin du Pléistocène est aussi à la base des théories de Binford et de Flannery mais il ne semble pas validé par les données archéologiques. Cette idée a cependant été reprise par d'autres chercheurs encore dans les années 90 mettant en avant cet accroissement démographique, principale cause de l'évolution comme MacNeish (1992). Le « modèle des relations sociales » (Social Relations Model) Une autre théorie totalement différente a été proposée par Barbara Bender (1978) qui a essayé de montrer comment les relations sociales se développant ont pu favoriser les changements économiques et le développement de l'agriculture. Sa thèse tourne autour de la notion de l'intensification, qui est définie en tant que productivité croissante (pas production) par secteur donné. Et elle se fonde là encore sur des observations ethnologiques. Bien que l'idéal de la structure classique des chasseurs-collecteurs soit plutôt la sous-production de façon à ne pas dépasser la capacité de charge de l'environnement, il existe de nombreux exemples dans ce mode de subsistance de production de surplus. Généralement, ces productions de surplus sont liées à des organisations et des évènements sociaux (alliances, mariages, cérémonies diverses). Les relations sociales complexes conditionnerait donc une demande accrue et donc la nécessité de développer la production. Ainsi, il y a un lien direct entre l'évolution des institutions sociales et une pression croissante sur la production. Dans ces systèmes, la nourriture est accumulée et redistribuée, souvent avec un délai, ayant pour résultat le stockage. Ce système favoriserait à la fois la sédentarisation, la hiérarchisation, la production et le stockage. Et cette intensification aurait pour conséquence l'innovation technologique : la culture et la domestication. Au Proche Orient, elle envisage donc les systèmes sociaux probalement complexes des groupes natoufiens et suggère que dans les secteurs marginaux, là où il n'y a pas une abondance de ressources, cette demande croissante aurait déclenché la production de nourriture. En conséquence, l'agriculture aurait commencé comme une réponse afin de pouvoir participer aux réseaux sociaux d'échanges, de compétition et de rituel, rendant nécessaire la production en surplus des produits alimentaires. Le « modèle de compétition socio-économique » (Socioeconomic Competition Model) Comme Bender, Brian Hayden (1990, 1992, 1995) rejette la pression externe et environnementale (telle que le climat ou la pression de population). Sa théorie se fonde là encore sur des sources ethnologiques et sur la base de la compétition sociale et économique. Son scénario est basé sur quatre variables de base (Hayden, 1990, pp 58- 60) : 1- la domestication dépend de l'influence des "accumulateurs" ; 2- la domestication est liée à la disponibilité de ressources (animales ou végétales) prestigieuses ; 3- le choix des plantes ou des animaux spécifiques est lié aux besoins alimentaires et aux festins sociaux; 4- la domestication est également liée aux espèces non-alimentaires (la courge-bouteille (calebasse), le chien) qui peuvent être employées comme biens de prestiges. Selon Hayden, la production de nourriture se développe à partir du moment ou le partage de la nourriture, obligatoire, typique des chasseurs-collecteurs n'est plus essentiel pour la survie. De tels changements ne pourraient apparaître que dans des contextes de ressources abondantes et pérennes. Ce qui est le cas pendant le Mésolithique. Certains individus du groupe pouvaient dans ce contexte accumuler des excédents considérables et développer un clientélisme pour diriger le travail au moyen de cadeaux, de prêts… développant puissance et prestige. Dans ce scénario, la culture et la domestication émargeraient de ce contexte de compétition sociale et concerneraient d'abord des biens de prestige dans le monde des chasseurs-collecteurs complexes implantés dans un environnement riche en ressources. Ce modèle est assez novateur et intéressant mais n'a pas été accueilli favorablement par la communauté, en raison d'un certain nombre de problèmes : • Tout d'abord il n'y a pas d'évidences archéologiques de l'existence d'un stockage massif de ressources avant le PPNB moyen. • La différenciation sociale n'est pas attestées dans tous les contextes du Natoufien ou des premières phases du PPN. • Et de fait, l'existence d'une compétition sociale dans ces phases anciennes n'est pas sous-tendue par des données archéologiques. Le problème de ce modèle est alors surtout d'ordre chronologique. Même si certains éléments mis en avant ici ont du avoir une grande importance dans le développement de la néolithisation. Le « modèle de la Société Domestique » (The Domestic Society Model) Dans son célèbre ouvrage « la domestication de l'espèce humaine », paru en 1988, Peter Wilson a développé une théorie sur l'importance de la sédentarité et de l'habitat dans l'histoire de l'humanité. Il ne s'agit pas ici d'un travail sur la domestication animale ou végétale mais d'un travail en psychologie et sociologie sur les sociétés humaines et leurs transformations dans lequel l'auteur insiste sur les différences entre les sociétés dites ouvertes de chasseurs-collecteurs et les sociétés dites domestiques marquées par les villages et les villes. Selon lui la distinction principale vient de l'absence d'architectures dans les sociétés de chasseurs-collecteurs. Dans les sociétés domestiques, la maison et le village agissent en tant que métaphores du système et de la structure sociale. En d'autres termes, l'architecture est une représentation matérielle des idées abstraites, "un dispositif mnenomic" et "des moyens puissants de communication symbolique" (Wilson, 1988, p. 76). L'idée est sans doute intéressante mais je ne vois pas bien comment elle peut permettre de comprendre l'origine des domestications. De plus, la très forte différenciation que propose Wilson entre les deux types de sociétés n'est pas si évidente archéologiquement en terme de dichotomie : nature-culture, la mobilité-sédentarité, partager-stocker, absence de structures sociales-structures sociales fortes, égalité-inégalité, public-privé, mythe-histoire, etc... Les approches cognitives - Cognitive Approaches (Culture) Les « modèles psycho-culturels » (Psycho-Cultural Models) Il s'agit principalement de la théorie de Jacques Cauvin résumée dans son ouvrage « Naissance des divinités, naissance de l'agriculture. La révolution des symboles au Néolithique », paru en 1994 mais qui n'a été traduit en anglais qu'en 2000 et donc tardivement pris en compte par la communauté scientifique anglo-saxonne. Cauvin rejette explicitement des approches environnementales, démographiques et culturelles et défend la thèse que la révolution néolithique était principalement une révolution des symboles et de l'esprit. Il se fonde essentiellement sur l'archéologie structurale et l'école d'Annales, et argue du fait que les origines de l'agriculture doivent être cherchées seulement dans la connaissance. Géographiquement, il se concentre sur le Euphrate moyen (le "Mureybetien"), et, à un moindre degré, sur le Levant central (l'"Aswadien") et le Levant méridional (le "Sultanien"). Son récit commence par le Natoufien, qui s'est développé dans un contexte d'abondance des ressources sauvages dans le Levant. Bien que leur culture ait été pré-adaptée pour l'agriculture, elle n'est pas simplement apparue en elle : « Ils doivent avoir voulu changer. Un tel souhait pourrait seulement venir du domaine de la psychologie collective » (Cauvin, 2000, p. 66). Cette "initiative" peut être trouvée dans le PPNA ancien dans la culture du Khiamien, quand le répertoire symbolique s'est transformé. De fait Cauvin fait ainsi une séparation très stricte entre le Paléolithique et le néolithique. Il a appelé ce changement cognitif "révolution des symboles," et celui-ci a précédé le changement économique. La révolution cognitive (une "transformation de l'esprit") se rapporte aux développement à ce moment du symbolisme (principalement des figurines et bucranes) des femmes et des taureaux sauvages. Sur la base de ceci et de la survivance de ce même symbolisme plus tard dans le Néolithique (par exemple à çatal Höyük), il postule une religion véritablement nouvelle avec une déesse féminine avec une contre-partie masculine sous forme de taureau. La déesse était non seulement un symbole de fertilité mais également "une personnalité mythique véritable," "une mère universelle." Le taureau, d'autre part, était subalterne, subordonné à la déesse. Le taureau ne représente pas l'équivalent de la déesse mais pourrait en être issu représentant la force brutale instinctive et violente universelle. En bref, au début du PPNA il y avait une nouvelle "religion de la femme et du taureau." La projection de personnalités divines surnaturelles indique que le monde est alors réorganisé hiérarchiquement et que la place de l'homme va se transformer se plaçant entre les Dieux et la nature. Sur cette base là, l'homme va pouvoir/vouloir intervenir sur la nature et la manipulation des plantes et des animaux rendue possible ne va pas tarder à intervenir. Car la domestication des animaux est elle aussi presque exclusivement considérée comme symbolique et cognitive : « La domestication animale était surtout une réponse au désir humain pour la domination au-dessus du royaume animal » (Cauvin, 2000, p. 128). Cette théorie a beaucoup été attaquée par la suite, par Ian Hodder, Gary Rollefson ou Ian Kuijt car Cauvin n'a pas développé l'origine, la cause de cette révolution des symboles à cette époque. De même on lui reproche souvent d'avoir utilisé des données éparses éloignées dans le temps et dans l'espace pour sous-tendre sa théorie. Et d'une manière générale son explication est trop unidimentionnelle pour être tout à fait correcte mais comme l'écrit Verhoeven : « Nonobstant ces remarques critiques le livre de Cauvin présente un antidote bienvenu à beaucoup de déterminismes environnementaux. Il était le premier à prêter une attention explicite au rôle crucial du symbolisme dans le néolithique et cela dès le début des années 70 ». D'autres archéologues ont quand même développé cette idée, comme Trevor Watkins dans les années 90. Lui aussi rejette la pression environnementale ou démographique comme point de départ de la domestication. Pour lui aussi il y a une grande différence entre l'Epipaléolithique et le Néolithique du point de vue culturel et social et le point de départ est aussi à chercher dans le symbolique et il rejoint Wilson sur l'importance de l'architecture au niveau symbolique en relation avec le stockage… Il se fonde sur des travaux de psychologie qui voient émerger quelque chose dès le développement de l'Homo Sapiens avec l'apparition des systèmes symboliques, il y a plusieurs dizaines de milliers d'années et l'importance de "la culture mythique"… The Domus Model of Hodder Dans sa « Domestication de l'Europe » en 1990, Ian Hodder comme Cauvin, interprète l'agriculture comme un processus social et symbolique. D'ailleurs, comme Wilson et Watkins, il met la maison et les activités domestiques qu'il réunit sous le terme de « Domus » au premier rang. Selon lui, dans le Natoufien et le PPNA, la maison était le moteur de la transformation de la nature en culture : « Le processus de la domestication -le contrôle du sauvage- est une métaphore et un mécanisme pour le contrôle de la société » (Hodder, 1990, p. 12). Le domus était le centre. La maison a été pavée et peinte, et plus tard plâtrée et divisée fonctionellement. La mort a été apportée dedans et contrôlée sous le plancher de maison. Au PPNA les animaux sauvages étaient apportés dans l'unité domestique et les plantes sauvages aussi ont été apportées dedans et converties en produit culturel. Le domus est devenu le lieu conceptuel et pratique pour la transformation de naturel en culturel. (Hodder, 1990, p. 39) Hodder rejoint Cauvin dans l'idée qu'il n'y a pas réellement eu de besoin mais plutôt une intentionnalité de transformer le naturel en culturel. En outre le système de l'agriculture, avec le délai entre l'ensemencement et la récolte et l'investissement même du travail agricole sont pour lui les moteurs qui ont amenés à l'augmentation des interdépendances sociales et économiques. Indépendamment des facteurs sociaux, des changements climatiques et environnementaux à la fin du pléistocène sont proposés en tant que déclenchements possibles pour la transition agricole. Ainsi, le processus socio-symbolique progressif de "cultiver la nature" avait atteint un point critique (la "culture était prête") à la fin du pléistocène et l'interaction de ces processus, climat et environnement a mené à l'agriculture (Hodder, 1990, p. 293). Depuis le développement de cette théorie, Hodder en 2003 puis Eric Coqueugniot, Daniel Helmer et d'autres sont revenus sur cette question du symbolisme néolithique, en observant qu'il y avait en fait peu de rapport entre ce qui était réellement mangé et ce qui était peint ou représenté… particulièrement donc concernant les espèces animales car les animaux représentés sont très essentiellement des animaux sauvages et même souvent dangereux (aurochs, serpents, oiseaux de proie, renards, etc.). Les relations sociales et les rituels, alors, semblent s'être concentrés autour du sauvage plutôt que sur du domestique. Quel rapport alors entre la représentation symbolique et les domestications ? Ou autrement formulé : comment ces domestications ont-elles été perçues par les néolithiques eux-mêmes ? Hodder précise que les données récentes indiquent que le processus, commencé principalement dans le Natoufien, a été très lent, avec des domestications animales et végétales à divers moments. D'ailleurs, il semble y avoir eu de variabilité régionale considérable dans le processus. Par conséquent, il ne s'agit probablement pas d'une "révolution," mais plutôt un processus régionalement diversifié, lent, dans lequel les plantes et les animaux étaient importants, mais pas les seuls composants. Ainsi selon Hodder la révolution néolithique était principalement sociale. Le climat a probablement eu un certain impact, mais : « Un processus social et économique à plus long terme commençant dans le Paléolithique supérieur a mené à une plus grande sédentarité, une intensification, et une plus grande consolidation et complexité sociales. Ces processus, souvent « accidentellement », ont fait émerger les plantes et les animaux domestiqués dans quelques secteurs » (Hodder, 2003, pp 135-136). Approche holistique Selon Marc Verhoeven dans un article récent, daté de 2004, la domestication dans le Levant est un phénomène holistique et à facettes multiples : non écologique, social ou cognitif, mais impliquant toutes ces dimensions, dans différents combinaisons et degrés d'importance à différents moments. Il ne s'agit pas d'un modèle a proprement parler mais d'une exhortation aux chercheurs de mieux prendre en compte les différents aspects du phénomène plutôt que d'en privilégier un seul pour créer un nouveau modèle. Le travail publié, de plus de 100 pages, s'attache ainsi plus à décrire l'état des connaissances sur la domestication dans le Levant qu'à proposer des modèles explicatifs à la question du « Pourquoi la domestication ? ». Il n'en reste pas moins que la démarche est sans doute salutaire, car c'est sans doute le bon axe de recherche. Un des plus grands néolithiciens européens, Colin Renfrew est revenu récemment sur ces questions à travers un article publié l'année dernière. Si lui non plus ne se risque plus à une interprétation nouvelle. Il déplore aussi les interprétations univoques mettant en avant la pression environnementale ou la pression démographique ou les aspects symboliques et culturels. Par rapport à l'article de Verhoeven, il ajoute aussi un élément intéressant qui est l'importance (trop grande) du Proche Orient dans le développement des théories de la domestication. Il existe en effet d'autres foyers de néolithisation où le processus a pu être / a été même différent… Mais en même temps, l'existence même de ces différents foyers implique une cause globale au début de ce processus.
Bibliographie Ce cours propose une synthèse en français de la récente recension : VERHOEVEN M. (2004) – Beyond Boundaries : Nature, culture and a Hollistic Approach to domestication in the Levant, Journal of World Prehistory , Vol. 18, n°3, 2004, p. 179-282. Autres sources récentes : AMMERMAN A.J., BIAGI P. (Dir.), 2003 – The Widening Harvest. The Neolithic transition in Europe : Looking back, looking forward , Boston : Archaeological Institute of America, 2003, 343 p. (Colloquia & Conference papers, 6). RENFREW C. (2006) - Inception of agriculture and rearing in the Middle East, C.R. Palevol , 5, 2006, p. 395-404.
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