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Les méthodes - Pratiques de l'archéologie préhistorique

 

3 - Les études post-fouilles et la diffusion des résultats.

 

 

Aujourd’hui, je vais vous parler de tout ce qui concerne ce qu’on appelle en archéologie le Post-fouilles.

Tout d’abord, je vous ai dit la semaine dernière que le travail de terrain n’était que la partie émergée de l’iceberg… Et c’est vrai.

Même s’il est difficile d’établir une moyenne, la proportion de temps passé sur le terrain et à étudier les données doit varier de 2 à 10, c'est-à-dire que selon les cas, on va passer entre 2 fois et 10 fois plus de temps sur le travail post-fouille que sur la fouille elle-même, si on cumule le temps de travail de tous les participants.

Ce travail post-fouille va être réalisé dans des lieux différents selon les cas. S’il s’agit d’une fouille de recherches programmées, la plupart des études seront conduites dans des laboratoires du CNRS ou de l’Université, ou plus généralement maintenant dans ce qu’on appelle des UMR, Unité mixte de Recherche qui est un laboratoire qui réunit plusieurs composantes (généralement le CNRS, une Université et les services du Ministère de la Culture SRA et/ou de l’INRAP) comme c’est le cas, ici même à Dijon, puisque j’appartiens à une UMR joliment appelée 5594 : ou Archéologie, Cultures et Sociétés, dont les principaux bureaux se trouvent au dernier étage du bâtiment Sciences-Gabriel.

Dans le cas des fouilles préventives (de sauvetage) le travail s’effectue le plus souvent dans ce qu’on appelle des bases qui sont des locaux opérationnels de l’INRAP, dans la plupart des grandes villes, dans toute la France.

Un certain nombre de travaux vont se dérouler aussi dans ce qu’on appelle des dépôts de fouilles, locaux gérés par les SRA dans toutes les régions et qui comme leur nom l’indique sont des endroits, généralement discret et relativement protégés où on entrepose tout le mobilier archéologique provenant des fouilles d’un secteur ou d’un département…

Enfin, pensez que beaucoup d’études qui vont être conduites par des spécialistes sur une petite partie des données ou du mobilier issus de la fouille, vont se dérouler dans les laboratoires de chacun de ces spécialistes et donc parfois aux quatre coins de la France, voire à l’étranger dans certains cas.

Ces études Post-fouilles, c’est quoi ?

Le premier travail post-fouille est l’inventaire de toutes les structures ou couches et de tous les vestiges mobiliers qui ont été mis au jour puis d’envoyer à chaque spécialiste les objets et les données qui le concerne.

Un autre travail préalable est la mise au net, généralement de façon informatique de toutes les notes, les fiches et les plans. Dans le même temps toutes les photographies sont inventoriées et archivées.

Cette étape d’archivage de toutes les données est très importante pour la même raison que je vous indiquais la fois dernière, la zone fouillée est irrémédiablement détruite et il faut conserver le plus de données possible.

Ces étapes là doivent donc nécessairement suivre la fouille de peu (en temps) et ne pas se faire des mois ou des années après.

Les archéologues doivent alors élaborer un rapport scientifique pour le Ministère de la Culture, qui va présenter toutes les données de la fouille et le résultat des premières études spécialisées en même temps que tous les inventaires de mobiliers, de données, de photos…

Les plans complets de la fouille sont donc recollés à partir des plans par mètres carrés ou par secteurs. Les coupes stratigraphiques de même, et l’ensemble est présenté avec la description des vestiges, des structures…

Les études spécialisées, généralement des études que l’on dit préliminaires, qui doivent généralement être réalisées dans des délais très courts, sont présentées elles aussi afin de montrer les différents vestiges mobiliers de chaque occupation, ou de chaque structure…

Les études spécialisées vont porter sur l’ensemble des différentes données issues de la fouille, et comme je vous l’ai dit une fois précédente, l’équipe de spécialistes peut réunir pas mal de gens dans certains cas. Rarement moins d’une dizaine, parfois plusieurs dizaines.

Je vous ai pris un exemple, sur une belle étude d’un site néolithique, situé non loin d’ici dans le Jura sur le lac de Chalain, fouille conduite par Pierre Pétrequin, chercheur au CNRS et son équipe.

La fouille de la station de Chalain 3 a eu lieu entre 1989 et 1991 à raison de 3 mois par an environ, avec une équipe d’une douzaine de personnes. Soit 9 mois de fouilles ou 108 mois / hommes. Ces fouilles ont concerné un secteur de 330 m2 environ sur 1 mètre d’épaisseur de couches archéologiques environ.

Une petite fouille donc sur une portion d’un village littoral, de bord de lac, daté de 3200 à 2900 avant notre ère.

Au total ce sont 70 personnes qui ont participé à tous les travaux de la fouille jusqu’au laboratoire, et les spécialistes qui signeront finalement les rapports et publications de synthèse sont au nombre de 47…

Alors ces études et ces résultats c’est quoi ?

La problématique et la stratégie de fouille mise en place sont l’œuvre du responsable de la fouille, comme la présentation de la stratigraphie du site.

Nous avons ensuite deux spécialistes qui effectuent et présentent les datations dendrochronologiques du site (on reviendra prochainement sur les méthodes de datation).

L’archéologue commente ensuite les datations au radiocarbone qui ont été effectuées par un laboratoire extérieur sur factures.

Nous avons après un spécialiste qui intervient sur l’histoire du lac, ses variations… en référence à l’histoire du climat.

Puis un spécialiste qui étudie la malacofaune, c'est-à-dire les escargots.

Puis un spécialiste qui fait des analyses micromorphologiques pour comprendre les processus de mise en place des dépôts sédimentaires.

Puis encore un spécialiste qui étudie les pollens du site.

Puis un spécialiste qui étudie les restes de coléoptères permettant de préciser l’environnement du site mais aussi les activités humaines sur le site.

Un spécialiste qui étudie les vermiculures sur les bois conservés. En fait des dégâts occasionnées par des larves de trichoptères afin de déterminer si ces dégâts des bois ont été occasionnés pendant l’occupation humaine ou après.

Vient ensuite toute une série d’étude sur l’architecture du village avec des interventions d’environ 17 spécialistes qui vont s’intéresser à

- L’expérimentation pour comprendre.

- L’étude de l’environnement végétal du site et la sélection du bois d’œuvre.

- L’étude de l’abattage et du façonnage des bois d’œuvre.

- Les bois horizontaux  et le plan des maisons

- Les poteaux et les fondations

- Les parois en clayonnage et les enduits

- La détermination des mousses utilisées pour les litières ou le calfeutrage par exemple.

- L’argile cuite comme matériaux dans les maisons.

- Et enfin les foyers et les bois utilisés pour le feu.

 

Viennent ensuite les études des outillages archéologiques :

4 spécialistes étudient la céramique du point de vue de la typologie, mais aussi des techniques de fabrications et des matériaux utilisés.

1 spécialiste étudie la typologie et la fabrication des outillages lithiques taillés en silex.

Mais on trouve deux autres spécialistes qui vont étudier les restes de colles qui vont servir à l’emmanchement des outils

et encore une pour l’origine des matières premières utilisées

et enfin une autre pour l’étude des traces de l’usage de ces outils.

Cette dernière spécialiste conduisant en plus une étude spécifique sur les briquets (silex et marcassite).

Les galets sans trace d’utilisation sont aussi étudiés par un spécialiste.

De mêmes que tous les galets et blocs de pierre qui ont servi de bouchardes, d’enclumes, percuteurs… qui réunissent 5 spécialistes.

Les meules et les broyons, pour la préparation des farines réunissent 4 spécialistes.

Les haches polies sont étudiées par 5 personnes

et les polissoirs qui servent à les fabriquer réunissent 5 personnes aussi (pas exactement les mêmes).

Il y a encore un spécialiste de l’outillage en matière dure animale (os et bois de cervidé).

Et plusieurs personnes qui vont étudier quelques objets particuliers comme les défenses de suidés et les incisives de castor qui ont servi d’outils.

Puisque nous sommes dans un site lacustre, il y a encore tous les objets en bois étudiés par une équipe de 4 spécialistes.

Et les écorces qui font l’objet d’une approche spécifique.

Et encore un spécialiste qui va étudier la parure.

Et nous ne sommes pas au bout, restent toutes les approches de la production et de la consommation. C'est-à-dire :

L’analyse spatiale des vestiges pour reconstituer le mode de vie à l’intérieur de l’habitation.

Les études des restes osseux animaux réunissant 6 spécialistes :

Avec un spécialiste pour la grande faune.
Une étude spécifique des restes de cheval
L’étude des restes d’oiseaux

L’étude des restes de poissons

L’étude spécifique des restes de grenouilles

Et enfin l’étude des micromammifères…

Reste encore l’étude des paléosemences  (les graines)

et des dépôts alimentaires carbonisés

et encore des coprolithes, c'est-à-dire des excréments conservés qui vont livrer de précieuses indications sur ce que consommaient les populations…

Et c’est tout pour ce site…

En fait, s’agissant d’un site lacustre, avec une conservation particulièrement exceptionnelle des vestiges d’habitude périssables comme le bois et l’ensemble des matières végétales, il est normal qu’il puisse y avoir beaucoup d’étude…

Notez cependant qu’en l’absence de sépultures, nous n’avons pas de spécialistes ni des sépultures, ni des restes humains, ni des pathologies, ni des diverses analyses isotopiques ou génétiques qu’on peut conduire sur ce type de restes.

Et qu’il n’y a pas non plus de métal et donc l’absence des spécialistes de ce type d’objets…

Chacune des spécialités que je vous ai sommairement cité, a ses spécificités naturellement avec un certain nombre d’observations, de quantifications, d’analyses, de comparaisons, de descriptions…

Notez qu’une grosse partie du travail va être la description et la représentation de tout le mobilier archéologique, dès la phase de rapport et avant même les publications.

Le mobilier est dessiné et photographié pour pouvoir être représenté dans les publications.

Tous ces résultats font l’objet d’une synthèse collective des différents participants généralement coordonnée par l’archéologue, titulaire de la fouille qui doit agir comme un chef d’orchestre.

Le rapport est remis aux autorités de tutelle (le SRA), en 3 exemplaires, mais aussi au propriétaire du terrain, et généralement aux participants et à quelques bibliothèques de recherche pour archivages et consultation par les collègues intéressés.

Depuis une quinzaine d’années –depuis 1991, toutes les opérations de fouilles font aussi l’objet chaque année d’une note de synthèse dans le bilan scientifique régional, éditée annuellement donc, par les services régionaux de l’archéologie, pour que les principales découvertes soient diffusées rapidement.

Il est aussi courant que les résultats préliminaires ou partiels d’une ou quelques campagnes de fouilles soient diffusés sous la forme d’une présentation dans un colloque scientifique, rubrique « actualité de la recherche », et fasse l’objet d’articles courts de présentation.

Le plus souvent, les archéologues prévoient dans le même temps une diffusion vers le grand public, au niveau local, dans la commune où la fouille a eu lieu. Cela se traduit le plus souvent par des conférences publiques et des expositions des résultats des fouilles.
Pour remercier les municipalités et les habitants qui accueillent des équipes parfois nombreuses et turbulentes.

C’est aussi et avant tout parce qu’on ne fait pas de l’archéologie que pour soi, pour accumuler des connaissances ou pour se faire plaisir (même si c’est une motivation importante), mais aussi pour diffuser ces connaissances autour de nous auprès des populations, ou au moins des gens que ça intéressent.

Dans la campagne, on peut avoir assez facilement un public de plusieurs dizaines voire 150 ou 200 personnes, avides de connaître quelque chose sur le passé de leur village…

En ville, parce qu’il n’y a pas de vie collective réelle, parce que les habitants sont fréquemment originaires d’ailleurs et parce que l’offre en divertissement est plus large, il est souvent difficile de réunir autant de monde pour parler d’archéologie…

On peut aussi écrire des articles à destination du grand public pour présenter les résultats de fouilles ou de recherches : dans des revues locales, communales ou départementales, ou dans des revues à grand tirage comme la revue Archéologiaqui est éditée ici même à Quetigny, ou encore faire paraître des plaquettes spécifiques sur une fouille selon le cas.

Evidemment, comme vous vous en doutez, la fouille archéologique n’est pas une activité très rapide et il faut souvent plusieurs campagnes pour fouiller un site, même de manière partielle et réunir les données attendues pour obtenir des résultats.

Généralement, une fouille programmée est dite pluriannuelle. La première année est une année test, puis on part souvent pour 2 ou 3 ans de fouille, en réalité selon les budgets entre 1 et 3 mois de fouilles par années.

Et on peut renouveler la fouille pluriannuelle plusieurs fois le cas échéant s’il s’agit d’un gros site ou d’un site compliqué à fouiller (dans le cas de sépultures collectives par exemple).

La fouille d’un site est donc souvent comprise, en archéologie programmée, de recherche, entre 3 ans et 20 ans ou plus dans certains cas.

Lorsque la fouille du site est terminée, ou parfois lorsque la fouille d’un grand secteur est terminée, il faut diffuser les résultats.

Pour cela il faut réunir tout le travail fait par les spécialistes généralement pendant plusieurs années. Bien souvent, ce sont des étudiants en master ou en doctorat qui ont étudiés des parties des vestiges d’un site.

Toutes ces informations sont réunies et présentées dans des congrès et font l’objet soit d’une publication que l’on dit monographique du site, soit d’une série d’articles traitant chacun d’un aspect des résultats.

Dans le cas de sites important la monographie peut atteindre plusieurs volumes d’études spécialisées dont la parution est étalée dans le temps sur de nombreuses années.

Ces publications sont généralement donc collectives et signées collectivement sous la direction de l’archéologue ou des archéologues responsables.

Lorsque l’archéologue a enfin publié l’ensemble des résultats d’une fouille, il en commence généralement une nouvelle.

Considérez, que généralement un archéologue conduit plusieurs fouilles chaque année ou commence une fouille alors qu’il est occupé à la publication d’une autre… Et vous comprendrez qu’on a très rarement l’occasion de s’ennuyer.

En même temps, l’archéologie est un métier des plus variés – bien que ce ne soit pas tout à fait la vie d’Indiana Jones – où l’archéologue passe fréquemment du bleu de travail avec des bottes et un casque pour la fouille, au costume - cravate voire au smoking pour certains congrès ou certaines cérémonies, mais le vrai snobisme en archéologie, c’est quand même de fouiller en chemise blanche et de venir aux congrès en bleu de travail…

Complément :

N’hésitez pas à aller consulter des monographies de sites archéologiques, afin de mesurer par vous-même la diversité des restes et donc la diversité des études et des spécialités qui contribuent à l’archéologie.

L’exemple pris dans le cadre de ce TD est :

PETREQUIN P. (Dir.) ( 1997) – Les sites littoraux néolithiques de Clairvaux-les-Lacs et de Chalain (Jura) III Chalain station 3 3200-2900 av. J.-C., Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1997,  2 vol., 765 p.

 

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