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Les méthodes - Pratiques de l'archéologie préhistorique

 

6 -Sépultures et rites funéraires néolithiques II

 

 

Nous allons reprendre aujourd’hui la question des sépultures néolithiques pour nous intéresser aux rites funéraires.

Il s’agit ici donc de comprendre quels sont les gestes qui accompagnent le dépôt des morts dans leurs tombes… S’il existe des cérémonies liées aux funérailles… ou parfois postérieures aux funérailles…

Vous devez tout d’abord savoir qu’on entre ici dans un domaine beaucoup plus difficile à appréhender que les architectures des tombes ou l’étude des corps eux-mêmes.

Mais c’est aussi un domaine très important car c’est celui qui permet de toucher aux comportements sociaux, voire aux croyances des populations du Néolithique.

Et en fait, tout porte à croire que les rites funéraires au Néolithique sont très variés et parfois très sophistiqués.

Tout d’abord, le traitement d’un individu décédé ne se résume pas toujours à le mettre dans une tombe.

Il existe un certain nombre de pratiques, qui peuvent se situer avant l’enfouissement, à l’occasion de l’inhumation et même après.

En effet, je vous ai parlé la fois dernière de sépultures secondaires qui indique le plus souvent qu’un corps a été déplacé, généralement en deux temps. Pratique qui peut être liée par exemple à l’exposition du corps dans un premier temps que j’avais aussi évoquée.

Si ces pratiques sont méconnues, nous pouvons constater, dans certains cas, leur existence.

D’autres cas sont plus évidents comme ceux où le corps n’est pas déposé intégralement dans la tombe.

L’exemple le mieux connu est le rite de la séparation des crânes dans le Néolithique proche oriental.

Dans ces régions de nombreuses tombes livrent des corps sans tête.

Les têtes quant à elles sont mises au jour dans d’autres fosses ou monuments.

Elles font parfois l’objet d’un traitement particulier comme ce qu’on appelle le surmodelage du crâne décharné avec de la chaux ou du plâtre, l’ensemble étant complété d’yeux artificiels (pierres, coquillages…) et généralement peint.

Cette pratique se développe dès la 2e phase de la néolithisation au Proche Orient entre 10300 et 8800 avant notre ère et se développera surtout dans la période suivante.

De réels masques, totalement artificiels existent aussi qui vont sans doute venir à la place du visage du défunt après son décharnement.

En Europe occidentale, au début du Néolithique, nous ne trouverons pas de tels rites.

Au contraire, pour le Rubané par exemple, mais ce serait sans doute vrai pour le Cardial, les sépultures primaires en fosse, avec des rites codifiés (positions et orientations des corps) semblent la règle où il semble important de ne pas déranger les morts.

S’il existe quelques exceptions, c’est surtout à partir du Néolithique moyen que les rites funéraires semblent se diversifier et se compliquer pour nos régions.

Si on connaît des sépultures secondaires correspondant à une mise en terre après un certain temps et certaines pratiques, il y a aussi de nombreuses évidences de réouvertures de tombes pour y déplacer les corps, les manipuler, ou je ne sais quoi.

Je vous ai déjà parlé de l’incinération des corps qui est une pratique attestée bien que peu répandues dans le Néolithique européen.
Ce rite va nécessairement engendrer des pratiques complexes car nous aurons à la fois un lieu de crémation, le bûcher funéraire et généralement un lieu d’inhumation des cendres et restes recueillis sur le bûcher, avec une manipulation intermédiaire et l’usage d’un récipient parfois.

Parmi les rites importants, il y a la collectivisation de la mort, le développement des caveaux.

Cela commence au Proche Orient dès le PPNB où, outre les sépultures en fosses contenant 2 à 3 individus (dépôts pas toujours très clairement collectifs ou plutôt multiples),

On trouve quelques rassemblements de squelettes parfois importants comme à Dja’de avec une quarantaine d’individus et dans le Skull Bulding de Cayonu, plus de 300 individus dans plusieurs cellules adjacentes à la grande salle de ce qu’on a considéré comme un sanctuaire.

En Europe, ce développement des sépultures collectives va se faire aussi au début du Néolithique moyen, a peu près au même moment que le développement de la monumentalisation des tombes même si les premières tombes monumentales ne sont pas des sépultures collectives (nous y reviendrons).

L’une des plus anciennes, importante, est la sépulture de la salle VII de La Caune de Bélesta dans les Pyrénées Orientales qui a livré une trentaine d’individus et qui est datée d’environ 4700 à 4500 avant notre ère.

Ce phénomène de collectivisation des tombes va se poursuivre, en Europe occidentale jusqu’à la fin du Néolithique, même si la fin de la période voit un certain retour, selon les régions, à la sépulture individuelle.

Le rite de la sépulture collective est sans doute quelque chose de très important au Néolithique, car il peut être assimilé à la notion du renforcement du groupe, des liens de la communauté : Chaque mort de la communauté étant intégré à la communauté des morts du groupe.

Deux choses vont être importantes en lien avec celles-ci :

- Tout d’abord les nécessaires réinterventions à l’intérieur de la tombe collective, du caveau à chaque arrivée d’un nouveau corps avec la nécessité de rangements des restes des défunts antérieurs. Ces rangements ont été fréquemment observés et sont aujourd’hui bien connus. Il existe ainsi des tombes et des secteurs de tombes qui vont fonctionner comme des ossuaires avec des rangements parfois par type d’ossements.

- L’autre chose est que ces caveaux vont aussi être très souvent liés à des espaces cérémoniels qu’on peut observer associés aux sépultures collectives mégalithiques dans diverses régions. Il demeure en revanche difficile de préciser si ces espaces de cérémonies étaient utilisées lors des funérailles ou pour d’autres occasions de type fêtes des morts…

Ici vous pouvez voir l’exemple de Court Tomb en Irlande, ce sont des sépultures collectives mégalithiques, qui ménagent un espace vide, ouvert et non couvert avant la chambre funéraire elle-même. Cet espace est souvent considéré comme un lieu de cérémonies.

Un autre cas concerne les nécropoles du Néolithique récent et final des Alpes.

A Sion en Suisse.

Ou à Aoste en Italie, mais juste de l’autre côté de la montagne, deux nécropoles très similaires qui associent sépultures mégalithiques et alignements de stèles décorées dans un vaste espace sans doute lié à certaines cérémonies.

D’autres rites encore peuvent être liés à ces sépultures collectives.
Il s’agit des procédures de condamnation des sépultures.
A un moment donné, on a décidé que la sépulture ne serait plus utilisée, soit qu’elle était pleine, soit pour une autre raison.
Dans ces cas généralement la porte de la sépulture est fermée de façon définitive.
Dans certains cas, la structure architecturale a été démantelée de façon à ne plus être visible. Seul le tertre demeure observable.
Il existe des cas de condamnation par le feu. Où la sépulture collective est incendiée et abandonnée.

Ce cas a été mis au jour très récemment dans la région pour la sépulture collective du site de Passy-Véron dans l’Yonne, encore en cours de fouille actuellement.

Une autre forme de rite que nous allons trouver associé à tous les types de sépulture est le dépôt d’objets avec les individus inhumés.

Tout d’abord, les objets découverts dans les sépultures sont innombrables et très variés même si parfois l’intentionnalité de la présence de certains objets peut être discutée.

Ces objets sont donc très variés et vont bien souvent refléter, mais de façon déformée, les objets et les activités du quotidien des vivants.

Il n’est pas toujours évident que les objets déposés avec un individu reflètent réellement ses activités propres ou même qu’ils lui aient appartenu.

On évoque ce cas pour certains exemples particuliers comme les sépultures qui livrent du mobilier lié aux activités métallurgiques. Ces activités étant relativement rares et sans doute un peu particulières pendant le Néolithique, on a supposé que les individus qui étaient enterrés avec des moules de fondeur et d’autres objets liés à la pratique de la métallurgie étaient des spécialistes de cette activité. C’est probable mais cela demeure difficile à vérifier.

Il en est de même avec la sépulture campaniforme d’Amesbury en Angleterre qui a livré tous les attributs de l’archer : armatures de flèches en grand nombre et 2 brassards d’archer… Il est effectivement probable que l’individu inhumé pratiquait le tir à l’arc…

Au-delà de ça, il demeure assez difficile pour le Néolithique d’observer une réelle différence en terme de dépôts d’objets entre les sépultures masculines et féminines.
Il est faut de penser que les sépultures masculines livrent des armes et les sépultures féminines exclusivement des parures.
Les différences de mobilier par sexe se développeront surtout pendant la Protohistoire et ne pourront jamais se résumer à ce type de caricatures.

Alors quels sont les objets que l’on va pouvoir trouver à l’intérieur des tombes ?

Il va donc s’agir de récipients, en céramique généralement pour ce que l’on retrouve, mais le bois devait être largement utilisé.

Les céramiques déposées sont parfois un peu particulière au sens où elles ne reflètent pas toujours la vaisselle d’usage domestique, celle connue sur les sites d’habitat.

Ici, pour l’hypogée des Crottes à Roaix, nous avons toute une série de vases dont les formes et les décors sont connus pour le groupe culturel concerné, mais qui sont ici toutes de très petite taille. Il s’agit à l’évidence d’un choix effectué et peut-être même d’une production particulière spécifiquement destinée à cet usage.

La question du contenu de ces récipients déposés dans les tombes est toujours d’actualité. Il est en effet peu probable que les vases aient été déposés vides.

Il pourrait s’agir tout au contraire, plutôt du témoignage du dépôt de denrées périssables, sans doute des produits consommables (à manger et à boire) dont il ne nous reste que les contenants.

Les restes de nourritures sont parfois attestés sous la forme d’ossements animaux groupés et mêmes disposés dans un vase et semblant traduire la volonté d’associer au mort de la viande.

Derrière cette observation, il pourrait y avoir l’idée d’une vie après la mort, d’un au-delà dans lequel le mort doit emporter un minimum, un nécessaire et de quoi s’alimenter.

Et donc ce nécessaire va comporter d’autres types d’objets :

Il s’agit aussi d’outillages et d’armes sur toutes les matières utilisées (silex et autres roches, outillages en os ou en bois animal, en métal et même parfois des meules ou d’autres objets de ce type.

Il s’agit enfin et bien évidemment de parures, de toutes sortes et de toute matières qui peuvent représenter des milliers voire des dizaines de milliers d’objets dans les sépultures collectives.

Ici une sélection des parures de l’hypogée de Roaix.

On peut remarquer qu’on va trouver dans les sépultures des objets rares, précieux, des matériaux et des biens que l’on dit de prestige tout autant que des éléments plus ordinaires.

Ici, une des célèbres sépultures de la nécropole de Varna en Bulgarie, dans la seconde moitié du Ve millénaire avant notre ère, au moment où se développe dans cette région la métallurgie du cuivre et de l’or.
Dans cette nécropole, ce sont plus de 60 tombes qui ont livré des objets en or, plus de 3000 pour 6kg au total, tombes qui n’ont pas été pillées à la suite des inhumations.

Les objets sont très variés comme vous pouvez le voir.

On peut donc trouver à peu près n’importe quoi dans une tombe en général, mais en particulier, ce ne sera pas le cas, car les objets déposés dépendent en grande partie des traditions des différents groupes néolithiques.

Dans l’idée de l’existence d’un au-delà dans lequel il faut emporter des choses, il est aussi nécessaire de remarquer que ce type de croyance ne devait pas concerner toutes les populations du Néolithique de l’Europe, puisque dans certaines cultures les dépôts de mobilier funéraire sont rares ou même absent.

Il faut donc envisager, derrière cette variété de rites, une variété de croyances peut-être très différentes à la fois selon les périodes et les régions.

Les traditions funéraires vont donc être importante d’une manière générale et il ne semble pas qu’on fasse ce qu’on veut ni n’importe quoi dans ce domaine.

Des différences significatives peuvent apparaître entre deux groupes strictement contemporains et voisins, et même avec la forme d’une dialectique comme ici entre Campaniformes et Cordés de part et d’autre du Danube.

Le traitement des corps avant l’enterrement nous est difficilement accessible mais présente parfois des traces comme l’existence de linceuls ou de sacs cousus dans certains cas.

Au moment de la mise en terre, au Néolithique ancien, le corps peut être recouvert d’ocre ou d’une autre substance du même type.

On ne connaît pas la signification de la présence de l’ocre dans les tombes.

Certains ont vanté les qualités de l’ocre pour la conservation de certaines matières et peut-être des corps eux-mêmes.

Cependant, si l’ocre est parfois réduit en poudre et disséminé sur le corps, on le trouve aussi sous la forme de boulettes ou de fragments et dans ce cas, à moins d’imaginer qu’il fonctionne comme des boulettes d’anti-mites comme nous en mettons dans nos placard, il faudrait imaginer une vocation plus rituelle qu’utilitaire pour cette pratique.

L’ocre ou l’hématite utilisées sont avant tout des colorants, et une hypothèse pourrait être formulée concernant la peinture ou le « maquillage » des corps avant l’inhumation. Les boulettes ou fragments retrouvés ne seraient alors que des résidus de ces pratiques.

Dernier point que je souhaiterais aborder avec vous pour conclure sur ce chapitre : la place des morts et des rites funéraires dans les sociétés néolithiques.

Le caractère monumental de certains ensemble funéraire, depuis les énormes cairns du nord-ouest de l’Europe, jusqu’aux monuments à stèles des Alpes montrent clairement que le funéraire n’est pas un domaine totalement caché dans la société, au contraire.
 
Avec le développement des sépultures collectives, à partir du Néolithique moyen et surtout au Néolithique final, il faut donc imaginer que les ancêtres ou les morts récents ont encore une place dans la société – qui ne peut être précisée d’avantage.

Rappelez vous aussi le cas de ces très nombreux restes humains que l’on retrouve directement dans les habitats sur les sols ou dans les structures domestiques.
Indépendamment des cas avérés de cannibalisme que je vous ai mentionné, il faut bien imaginer que les populations néolithiques faisaient des choses avec certains restes de leurs défunts…

Finalement certaines formes de cannibalisme observées dans le Néolithique ancien Cardial, comme à la baume de Fontbrégoua dans le Var pourraient ne pas être du cannibalisme économique lié à une recherche de protéines – alors que ces populations semblent avoir de quoi se nourrir, mais plutôt à des formes de cannibalisme rituel et donc peut-être à une forme de rite funéraire très particulier.

Bibliographie :

Voir le cours précédent sur les sépultures.

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